LUNDI 30 NOVEMBRE 2015
Publié sur Paris-Luttes.info
Récit à plusieurs mains de la journée
contre la COP21, à Paris le dimanche 29 novembre 2015.
Il est midi lorsque nous arrivons sur la place de la République et rien ne laisse présager le tournant que prendra cette manifestation dans quelques heures. Il n’y a pas grand monde, chacun vaque à ses occupations respectives : les uns entassant des chaussures chargées de manifester à la place de leurs propriétaires, les autres partant vers la chaîne humaine, d’autres encore buvant un thè ou cassant la croûte. Quelques militants sont regroupés autour d’une banderole tenue par les organisations libertaires (AL, CGA...) qui donnent de la voix. On peut même trouver un groupe de Japonais suffisamment déterminés à lutter contre le nucléaire pour venir jusqu’ici, en plein état d’urgence.
Il est midi lorsque nous arrivons sur la place de la République et rien ne laisse présager le tournant que prendra cette manifestation dans quelques heures. Il n’y a pas grand monde, chacun vaque à ses occupations respectives : les uns entassant des chaussures chargées de manifester à la place de leurs propriétaires, les autres partant vers la chaîne humaine, d’autres encore buvant un thè ou cassant la croûte. Quelques militants sont regroupés autour d’une banderole tenue par les organisations libertaires (AL, CGA...) qui donnent de la voix. On peut même trouver un groupe de Japonais suffisamment déterminés à lutter contre le nucléaire pour venir jusqu’ici, en plein état d’urgence.
Pas très loin, un groupe de manifestants en soutien à la Palestine
appelle à boycotter Israël et son occupation mortifère (le 29 novembre étant
aussi la journée internationale de solidarité avec le peuple palestinien). Des
touristes déposant des fleurs devant la statue de la République en hommage aux
victimes des derniers attentats, des derviches tourneurs, des skaters, des
badauds viennent compléter ce tableau, véritable inventaire à la Prévert.
Une chose est sûre :
il y a des flics partout, plus d’une centaine de camionnettes entourent la
place et pas seulement des playmobils antiémeute. Enormément de flics
en civil sont disséminés dans la foule, la pesanteur de l’état d’urgence se
fait bien ressentir... Impuissance du tas de chaussures, impuissance de la
foule clairsemée, éclatée et surveillée. Il règne une sorte de flottement,
chacun sachant les raisons pour lesquelles il est venu mais n’ayant aucune idée
de la forme que vont prendre les choses. L’installation des cantines qui
distribuent des super repas à prix libre permet de détendre provisoirement
l’atmosphère. On s’assoit par terre, on se restaure, on prend des
forces pour la suite.
Pendant ce temps, malgré
l’interdiction et malgré la militarisation, la foule continue de grossir.
Nombre de participants à l’éphémère chaîne humaine sont revenus, un peu
frustrés. Quelques petits cortèges se forment, commençant à encourager les gens
à manifester. Un peu avant 14h, un mouvement un peu sérieux commence à se faire en
direction du boulevard Magenta, et la foule, qui s’ennuie manifestement sur la
place de la République, se met progressivement en marche, s’intégrant au cortège
en cours de constitution.
La place est déjà bloquée à
toutes ses issues, nous commençons donc par marcher sur son pourtour
jusqu’alors laissé ouvert au trafic automobile. Etrange cortège qui se met en branle et
tourne autour de la place, et donc autour de la République, manifestant en rond
et en vain sans parvenir à trouver une issue. Dès 14h, nous nous retrouvons
absolument nassés. Impossible de quitter la place par les rues adjacentes, les
sorties de métro sont elles aussi fermées à la demande de la pref. Voilà donc ceux et celles qui ont bravé l’état d’urgence, enfermés
dehors. Nous scandons des slogans contre la COP21 et son monde étouffant,
contre l’état d’urgence qui s’abat sur nous, contre la police qui, quand elle
ne nous "protégeait" pas encore, assassinait Rémi Fraisse, perpétrait
des crimes racistes.
"Si on ne
marche pas, ça ne marchera pas", "police partout, justice nulle
part", "état d’urgence, État policier, on ne nous empêchera pas de
manifester" ou encore le très
sobre "liberté, liberté !" sont repris avec
force.
Après avoir fait face aux
barrages de CRS situés à l’entrée du boulevard Saint-Martin, de la rue du
Temple, du boulevard du Temple et du boulevard Voltaire, nous nous engouffrons
dans l’ouverture de l’avenue de la République, pas pour longtemps. La ligne de CRS est
présente là aussi. Dans un premier temps les manifestants tentent de passer
pacifiquement. Au bout de quelques secondes tout le monde est aspergé par des
gazeuses.
Après une bonne dizaine de
minutes de "contact" où certains et certaines essayent de déborder la
ligne de CRS, les flics commencent à taper plus fort et à re-gazer abondamment
les premiers rangs. Nous finissons par refluer sur la place, et c’est reparti
pour un tour.
Rue du Faubourg du Temple, boulevard Magenta... Toujours à quelques
milliers, dans une ambiance plutôt déterminée et joyeuse : on manifeste,
malgré leur interdiction minable, nous les défions, sur cette place censée
incarner la citoyenneté et l’unité nationale. Convaincus que nos idées sont
importantes, qu’elles méritent d’être défendues en dépit de l’injonction venue
d’en haut de nous regrouper autour de valeurs supposées communes. Nous sommes
là pour dire nous ne voulons pas de leur protection, que nous n’approuvons pas
leur déferlement sécuritaire, la répression des composantes les plus faibles et
discriminées de la population. Pas de trêve entre nous et l’Etat ! Pas de
complaisance envers le cirque de la COP21, la destruction concertée et mesurée
du monde. Nous l’avions déjà dit il y a longtemps : la COP sera
sociale ou ne sera pas !
Avant 15h, nous sommes donc bel et bien enfermés place de la République.
Ceux qui nous bloquent et nous lançent des gaz
commencent à recevoir quelques projectiles. Rien de bien méchant, d’ailleurs,
il n’y aurait apparemment aucun blessé de leur côté. A l’entrée de la rue du
Temple, les projectiles qui leur pleuvent dessus commençent à se faire plus
nombreux et ils nous renvoient donc les leurs. Assez graduellement mais dans un
temps court ce sont d’abord quelques grenades lacrymogènes, puis des grenades
offensives ou de désencerclement qui sont tirées en nombre. Des dizaines de
projectiles en caoutchouc dur seront retrouvés plus tard sur la place. Les tirs
se font de plus en plus tendus, au niveau des visages. Certains manifestants
sont blessés par des éclats. Mais qui bloquait qui ? Qui défendait les
pompiers pyromanes réunis au Bourget, censés oeuvrer pour le bien de
l’humanité ? Qui s’est arrogé le droit d’assigner nos camarades à résidence, de les
surveiller des mois voire des années à l’avance ?
Les grenades lacrymogènes continuent de pleuvoir, leurs gaz envahissant
peu à peu toute la place, chassant notamment les personnes regroupées autour du
mémorial pour les victimes du 13 novembre (la rue du Temple, d’où partaient les
tirs, est à une centaine de mètres du monument). Le scénario qui se reproduit
ensuite rappelle les manifs de l’été 2014, quand le gouvernement Valls se
plaisait à interdire les manifestations de soutien au peuple palestinien (il
n’avait pas eu besoin d’état d’urgence pour ça) : gros nuage de gaz, les
manifestants refluent, puis reviennent. La tension ne cesse évidemment de
monter et chaque fois que les gaz se dissipent, les projectiles pleuvent plus
drus sur les lignes policières, à différents endroits de la place. Sauf que
cette fois, il n’y a pas que des mottes de terre disponibles sur cette place
aseptisée. Les chaussures, qui demeuraient jusqu’à présent impuissantes,
étalées dans un coin de la place, viennent à s’écraser sur les visières des
CRS, retrouvant là leur vraie fonction.
Quelques bougies volent accompagnées de leurs bocaux en verre. Il ne
faut pas y voir une marque d’irrespect envers les victimes du 13 novembre, nous
sommes nombreux à trouver que le drapeau tricolore et l’état d’urgence
insultent bien plus leur mémoire.
Puis les forces de l’ordre pénètrent sur la place de la République par
centaines, d’abord depuis le boulevard Voltaire, puis par le boulevard du
Temple, rabattant tout le monde sur leur passage, véritable déferlante de bleu,
par laquelle l’Etat entend montrer son intransigeance envers toute forme de
contestation. Ces deux lignes sont suivies par une cohorte de flics en civil,
massés à l’entrée de l’avenue de la République, puis par les autres, encerclant
tous les manifestants. Cette place, incontrôlable durant quelques instants
redevient alors le piège prévu par l’urbanisme sécuritaire parisien.
S’étant rendus maîtres de l’espace, les flics font ce qu’ils veulent.
Ils mattraquent à tout va, saccagent les fameuses bougies devant la statue de
la République et mettent en nasse plusieurs centaines de personnes. Il y en
aura deux : l’une à l’entrée de la rue du Faubourg du Temple, l’autre sur
la place au niveau du Boulevard Magenta.
Les flics piétinent le mémorial place
de la République
La plupart des copains énervés ont fait cramer leurs déguisements noirs
dans une poubelle et au pied d’un arbre avant de se disperser et de quitter la
place. Les deux jolis feux de joie sont bientôt éteints par les bleus. Restent
les clowns, les pacifistes, les acrobates et pas mal d’entre nous qui, bien
qu’encerclés, constatent que l’ambiance s’est un peu détendue. Les deux groupes
nassés sont séparés, les chants rebondissent d’un côté et de l’autre, plutôt
bon enfant. On se fout de la gueule des flics, l’attroupement prend des allures
de spectacle de rue. Peu à peu ils resserrent la zone, les coups de matraques
dans la tête, les gens traînés par terre, le gazage directement dans leurs yeux
rappellent aux pacifistes assis sur le pavé qu’un CRS est toujours partant pour
nous casser la gueule.
A partir de ce moment ce sera
l’arbitraire le plus total. Certaines et
certains sont envoyés dans différents commissariats, d’autres restent parqués. L’ambiance est assez
surréaliste. Nous sommes environ 150 entourés d’un dispositif massif dans un
coin de la place. Le campement s’organise sous le regard vitreux des soldats.
On se retrouve à pisser contre le mur dont on comprend qu’il est celui de la
caserne de République. Deux copains grimpent à l’arbre pour y planter un
drapeau "Pace". Une sono a été nassée avec nous et le tout prend
l’allure d’une rave partie où la drum & bass se ponctue de chants
anti-flics. On bêle pour moquer ces moutons, on scande "Appellez la
police, nous sommes séquestrés". Sur les portables, on apprend que Le
Figaro nous traite "des manifestants les plus durs" et
qu’Hollande nous trouve "scandaleux", ça fait rire tout le monde. Les
flics réagissent régulièrement en attrapant au hasard l’un de nous qui est
traîné dans un camion où il reste pendant des heures à communiquer avec ceux
toujours dehors. Peu avant 20h, les bleus tentent de communiquer avec nous au
mégaphone alors qu’un deuxième bus est arrivé pour nous embarquer et que
certains ont été violemment arrachés à la foule. On refuse de croire leurs
mensonges et d’être libérés sans nos camarades. Deux couloirs sont finalement organisés et nous sommes libérés après une
palpation assez légère et sans contrôle d’identité. Un CRS ravi nous lâche
"allez à demain, on s’est bien marrés aujourd’hui".
Durant tout ce
temps et jusqu’à la fin, les personnes qui avaient d’une manière ou d’une autre
pu s’échapper du "grand ratissage" reviennent en soutien aux
personnes nassées. Les profils sont très hétérogènes et, contrairement à ce qu’essayent de
raconter la préf’ et les mass médias, il n’y avait pas que des encagoulés
présents. De nombreuses personnes sont restées, se sont mises en danger, par
soutien aux autres manifestants et pour défier l’état d’urgence. Une manif
sauvage de 150 à 200 personnes s’est formée à ce moment-là derrière les
barrages côté grands boulevards et est joyeusement partie défiler jusqu’à ce
qu’elle soit rattrapée par les fics et dispersée vers Stalingrad. Malgré la
répression aveugle de la préfecture de police qui aurait encore pu blesser
grièvement un manifestant, il y avait quand même une certaine énergie sur la
place où les clivages classiques entre gentils manifestants vs méchants
encagoulés ont partiellement sauté devant l’urgence de la situation à ne pas
abandonner la rue.
Gageons que cette énergie reste vivante
dans les semaines et les mois à venir.
Ne nous
leurrons pas : nous avons réussi à manifester, de diverses manières, mais
nous n’avons certainement pas enrayé le programme en cours d’élaboration
pendant cette conférence climatique, dont les objectifs actuels, 2C° de
réchauffement "seulement", stupidement criminels pour des millions
d’êtres humains, ne seront pas même atteints. Programme délirant comprenant la
promotion de solutions énergétiques de remplacement ultra dangereuses comme le
nucléaire, des mesures d’apprentis-sorciers envisagées telles que la
géo-ingéniérie mais (évidemment !) une absence totale de remise en cause
de la principale cause du changement climatique, la croissance industrielle
infinie exigée par le capitalisme pour sa propre survie.
Les critiques
qui ne manqueront pas de pleuvoir sur la supposée irresponsabilité des
manifestants radicaux ne contribueront qu’à masquer davantage à quel point
cette radicalité se place en-dessous de ce qu’une telle situation appellerait
comme réactions de notre part. De cette journée du 29, il faut surtout retenir
ce message : nous sommes déterminés à lutter, quels que soient les
obstacles qui viendront entraver notre route. Reste à répondre à cette
question, toujours en suspens : comment lutter ?
Des membres de l’automédia de l’AG
antiCOP21
PS : à l’heure où cet article est
publié (le 30 novembre), la police fait état pour la seule journée du 29
novembre de 341 interpellations, dont 317 suivies d’une garde-à-vue.
P.-S.
Lire aussi le communiqué du collectif de soutien aux manifestant-es ainsi
que le suivi de la journée et de ses suites
Publié par La Cause du Peuple
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